Retour bienvenu du pianiste Guillaume Vincent, entendu ici l’an dernier lors de deux concerts privés qui nous ont laissés un très bon souvenir. Arrivé en ligne droite de Dortmund, pour repartir le surlendemain vers Hambourg, Guillaume nous a offert un récital dédié au compositeur Sergueï Rachmaninoff, dont il se prépare à enregistrer l’intégrale des œuvres pour piano.
Projet de grande envergure, qu’il pense pouvoir réaliser à partir de 2023, et qui rassemble environ sept heures de musique à découvrir dans le cadre d’une interprétation particulièrement engagée. Interprétation que nous avons pu apprécier à sa juste valeur, grâce à un voyage ininterrompu à travers les Moments musicaux, Op. 16 et les Études-tableaux, Op. 39 de Rachmaninoff. Car c’est une tension permanente, souvent considérable, qui se dégage de la musique pianistique (et même vocale) de ce compositeur. Guillaume arrive à la soutenir sans faille, et c’est ce qui rend son projet d’enregistrement non seulement légitime, mais nécessaire, au vu du résultat obtenu par la plupart des concertistes de haut-niveau qui s’y sont attaqués. La virtuosité, ici, est indispensable, mais le phrasé romantique ordinaire ne suffit pas.
Les Moments musicaux, Op. 16, composés fin 1896, s’organisent en six mouvements : les quatre premiers sur des tonalités mineures et les deux derniers en mode majeur. Le tout culmine émotionnellement dans la quatrième pièce, avec son Presto en Mi mineur qui se dirige sans frein vers les turbulences du Più vivo, assignées à la main gauche. Les Études-tableaux, Op. 39, naissent dans un climat beaucoup plus sombre, car elles sont composées entre 1916 et 1917, au cœur des drames de la Révolution russe. Ces morceaux s’intègrent parfaitement dans le voyage et nous permettent de découvrir un paysage musical moderne, beaucoup plus coloré, où l’on retrouve des rythmes surprenants que l’imagination transforme spontanément en tableaux.
Cette année, c’est par un temps plutôt pluvieux, parsemé de quelques éclaircies automnales, que nous sous sommes rassemblés samedi soir, chez Cécile et Guy, autour d’un Pleyel accordé pour l’équipée tempétueuse de Guillaume. En tout, une quarantaine de personnes ont bénéficié d’une lecture édifiante de ce monument du répertoire romantique russe, à laquelle Guillaume s’est livré avec une intensité sans compromis. Approche intègre, qui respecte l’œuvre dans sa continuité, choisissant d’interpréter les Moments musicaux et les Études-tableaux d’une seule traite afin de ne pas dissiper la tension grandissante, qui donne une dimension supplémentaire à l’ensemble.
Chez Rachmaninoff la virtuosité se manifeste souvent par le travail de la main gauche, chargée de ponctuer la marche forcée vers l’enfer de l’extase romantique, pendant que la main droite égrène des suites chromatiques, des arpèges, des octaves et assène de grands accords qui font vibrer l’instrument entier, mettant en valeur le chant crépusculaire des harmoniques, soutenu par les basses. Musique typiquement russe, où les tonalités mineures dominent. Les Moments musicaux de Rachmaninoff sont directement inspirés par ceux de Schubert, et pour faire le pont entre les deux, il suffit d’écouter le Moment musical no. 3 de Schubert (Allegro Moderato en Fa mineur), connu sous le titre d’Air russe.
J’espère que les courts extraits que je suis parvenu à filmer donneront une idée de l’exploit de Guillaume devant un public étonné, manifestement surpris par la qualité de l’interprétation et par son endurance. Le son enregistré par le téléphone portable ne représente hélas pas ce que nous avons entendu (pas assez de contraste dynamique).
Fin de soirée conviviale, qui s’est terminée par un buffet bien garni et un choix de vins pour trinquer entre amis. Merci encore à Cécile et Guy pour leur accueil, et à Christine pour sa contribution à l’organisation.
Pour mieux suivre Guillaume : https://www.guillaumevincent.net/
Michael BESACK